État végétatif
25/08/2015 |
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Le temps est aux revendications de plus en plus extrêmistes dans le fond et/ou la forme.
Des « étudiants » à Ambohitsaina (Antananarivo) revendiquent la reprise des cours par les enseignants en grève, et ont utilisé comme moyen d’expression le caillassage des passants et des commerçants qui passaient à proximité des passants. L’un de ces étudiants s’est fait attraper.
Bizarre comme conception des modes de revendication, comme si l’objectif n’était pas de revendiquer, mais de créer des troubles. Conclusion logique quand on sait que depuis l’ère Ratsiraka, les universités ont toujours été des lieux où les politicards s’amusent à entretenir des brasiers en espérant que l’incendie parviendra à les amener au pouvoir. On a donc des étudiants (ou pseudo-étudiants) spécialisés dans l’animation de réseaux malsains, sur financement des hommes politiques qui ont un intérêt manifeste à maintenir une situation d’instabilité. L’ombre de la « réussite » de mai 1972 rode toujours sur le campus. Bref.
Après la pitoyable reculade du régime Rajaonarimampianina face aux syndicalistes d’Air Madagascar il y a quelques mois, la compagnie aérienne a été livrée aux mains des « mpitolona », et la Direction collégiale actuelle est timorée devant la puissance des syndicalistes. Et là, on ne peut que se marrer. Depuis que ceux qui s’affichent ouvertement au sein de cette entreprise en faveur du « fanjakan’ny madinika » (le pouvoir au prolétariat) y font la pluie et le beau temps, les problèmes s’accumulent et même s’aggravent. Entre les vols annulés, les pannes techniques à répétition sur le même appareil, les centaines de passagers en rade à cause de la régularité systématique d’irrégularités diverses (IRGAV pour les problèmes d’avion, IRGHO pour les horaires, IRGIT pour les itinéraires etc.), le service après vente niveau zéro, et les décisions aussi farfelues les unes que les autres, Air Madagascar poursuit son inexorable descente vers les enfers malgré le limogeage de l’ancien Directeur géneral (DG) exigé par les fout-la-pagaille.
Je suis donc assez sceptique sur le potentiel de réussite de Léon Rajaobelina, le nouveau Président du Conseil d’administration (PCA) d’Air Madagascar. Il est certes de la race en voie de disparition des brillants grands commis de l’État, et sa compétence, sa bonne volonté et son intégrité ne sont pas en cause. Mais malgré toutes ses qualités, que peut-il faire face au système ? La marge de l’honorable M. Rajaobelina est bien étroite entre des syndicats qui s’estiment tout-puissants et dont l’ego est encore hypertrophié après la victoire de leur mouvement ; un Gouvernement poltron qui bat prudemment en retraite, la queue entre les jambes, au moindre problème social ; les caisses vides des finances publiques qui ne permettent pas à l’État de jouer son role d’actionnaire ; et un pays qui vit sur les lauriers bien fanés de son tourisme de moins en moins attractif pour des questions de coût, d’insécurité ou de qualité de service.
Deuxième cas de grève à pointer du doigt, celle des agents du service des Domaines. Pour y mettre fin, le Gouvernement a également battu en retraite, la queue entre les jambes, et obtempéré aux exigences des grévistes pour ramener la paix sociale dans ce secteur. Première conséquence, la révision de la Lettre de politique foncière pour qu’elle obéisse à la volonté des grévistes. Cela a provoqué la colère légitime de la Plateforme de la société civile oeuvrant pour le foncier (SIF) qui s’est fendu d’un communiqué très critique sur cette reculade étatique devant les exigences intéressées des syndicalistes des domaines.
Intéressées, car ceux qui sont proches du dossier savent que la véritable raison de la grève, c’est que la réforme foncière mise en place depuis quelques années ne plait pas aux agents des domaines, car elle leur coupe l’accès à leurs prérogatives de « négociations » lors des procédures d’octroi de terrains domaniaux ou l’obtention de titres fonciers. Rappelons que selon le Bianco, le foncier serait l’un des secteurs les plus touchés par la corruption à Madagascar. Et pourtant, si l’on en juge par les statistiques, le service des Domaines n’a pas fait preuve de grande performance depuis sa création à l’époque coloniale. En près de cent dix ans d’existence, il n’a délivré que 330.000 titres fonciers, qui mettent en moyenne 6 années à être délivrés, et qui coûtent chacun l’équivalent d’environ 507 US dollars. La réforme foncière a quant à elle permis de délivrer en sept années d’existence plus de 120.000 certificats fonciers, qui sortent en moyenne au bout de 6 mois pour un coût unitaire de l’équivalent de 9 dollars.
Reculer pour mieux tomber ?
La reculade de l’État face aux pitreries syndicales d’Air Madagascar et des agents des domaines a émoustillé les autres révolutionnaires en herbe, du côté de la Jirama, autre entreprise publique en perdition. Les vols d’électricité par des cablages sauvages dont certains employés font bénéficier leur voisinage (moyennant « un petit quelque chose »), les vols de carburant, les facturations fantaisistes des consommateurs, et surtout les délestages dont la récurrence n’a curieusement aucune incidence sur le montant des factures : c’est le profil de la société dont les employés se permettent encore de faire la grève. Et après que Rado Rabarilala, le leader des grévistes d’Air Madagascar, soit passé pour un héros auprès de ceux qui en manquent, un syndicaliste de la Jirama rêve de marcher sur ses pas et obtenir également une notoriété de fout-la-pagaille de classe exceptionnelle. Dernièrement, les syndicalistes de la Jirama se sont mis en tête de couper l’électricité à des Ministères qui ne payeraient pas leurs factures, au nom d’on ne sait trop quelles règles ou procédures. Mais le plus comique, c’est que dans cette action, ils se sont trompés de cable à couper selon le blog Les décrypteurs. Ainsi, même dans leurs âneries, les syndicalistes de la Jirama font encore preuve d’incompétence. Et sans doute quelque part, la pétence y est de trop.
Le scandale de toutes ces grèves, au-delà de leurs impacts (par exemple, la haute saison touristique est tombée à l’eau grâce à la grève d’Air Madagascar, et le Festival des baleines est quasiment tombé à l’eau), c’est que leurs leaders maquillent sournoisement leurs véritables objectifs derrière des motivations plus ou moins nobles, et ce en vue de générer l’adhésion de l’opinion publique. Sur le papier, ça paraît donc toujours légitime et méritoire. Pour Air Madagascar, c’était l’arrêt de l’immixtion de l’État dans la gestion. Pour le Service des domaines, c’était la protection du patrimoine national face aux appétits étrangers. Idem pour la Jirama.
La communauté internationale étudie avec attention l’envergure du pouvoir réel du Chef de l’État et de son autorité, qui seraient gages d’une certaine stabilité. Or, chaque reculade ne va pas nécessairement dans le bon sens, et le chiffre de 1000 maires sur 1695 élus sous la bannière HVM est plus une illusion d’optique qu’un véritable enracinement du parti. L’expérience de la tension de ces derniers mois avec l’Assemblée nationale montre que ce dossier nécessitera encore l’énergie de l’Exécutif pour les mois et les semaines à venir. Le fait qu’il n’ait pas osé convoquer une session extraordinaire censée adopter la Loi de finances rectificatives en juillet est révélatrice de cette tension, car une nouvelle session aurait pu donner l’opportunité d’une nouvelle motion contre lui ou le Gouvernement, la dernière motion de censure ayant échoué de peu au début du mois de juillet. Tant que le memorandum de stabilité ne verra pas le jour, le régime Rajaonarimampianina sera dans l’obligation de reculer devant chaque foyer de tension syndical, et éteindre le feu par des concessions pas toujours heureuses pour le pays. Toutefois, chaque reculade va encourager l’érection revigorée d’autres revendications, et les candidats potentiels pour exprimer leurs frustrations plus ou moins légitimes sont légion : les députés, les enseignants chercheurs, les maitres FRAM, les médecins, les usagers de la Jirama, les militaires, les paramédicaux, les médias, les magistrats etc.
Le Président Rajaonarimampianina devrait donc enfin siffler la fin de la récréation, virer les copains et les coquins de son entourage (il a déjà fait un bon pas en sacrifiant son Directeur de cabinet, mais d’autres méritent plus que la liste d’attente), et prendre les décisions qui s’imposent pour faire la rupture avec le terne bilan de son début de mandat. Le premier Régiment étranger de parachutistes de la Légion étrangère a pour devise « marche ou crève » : marcher et avancer est la seule option pour rester en vie. S’il est bien connu qu’on peut reculer pour mieux sauter, on se demande toutefois si à force d’être immobile ou de reculer, le régime actuel ne va pas finir par tomber.
Source: madagascar-tribune.com - Ndimby A.