L’aquaculture bio au service du développement durable à Madagascar
22/12/2016 |
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Passerelles s’est entretenu avec Mathias Ismaïl, président du directoire d’OSO Group S.A. et directeur général de R&O Seafood Gastronomy, afin de jeter un éclairage sur un ambitieux projet qui, par une vision stratégique claire et une approche déterminée, est parvenu à faire des normes de durabilité le moteur de son modèle d’affaires. OSO est la division produits de la mer du Groupe SOCOTA, une entreprise majeure de l’Océan Indien, bientôt centenaire, avec une présence diversifiée dans les secteurs textile et habillement, agricole, immobilier, aquaculture et distribution de produits de la mer, implantée à Madagascar, à l’Île Maurice et en France.
Comment l’idée d’établir un élevage de gambas biologiques au Nord de Madagascar vous est-elle venue ?
La vision stratégique qui a guidé OSO depuis le commencement repose sur une équation simple, soutenue par une mise en œuvre excessivement complexe. Avant la mode actuelle du bio au sein des sociétés occidentales, avant même la promulgation par les États de l’UE des réglementations régissant la production biologique, OSO souhaitait résoudre l’équation suivante : offrir aux consommateurs internationaux les plus exigeants des gambas de qualité exceptionnelle, en termes gastronomiques, environnementaux, et sociaux,à partir d’une origine dont la réputation en matière de crevettes sauvages était déjà établie, à savoir Madagascar.
Dans cette optique, l’objectif était d’offrir aux marchés une alternative durable à la crevette sauvage, péchée au chalut dans des océans surexploités, avec des impacts mondialement décriés sur la ressource, sur les fonds marins, sur les littoraux et sur les communautés de pêcheurs traditionnels, dans une approche qui soit également responsable d’un point de vue social, en changeant la vie et les perspectives de la communauté humaine de l’Ankarana et de Madagascar. Le but était donc garantir une excellence gastronomique soutenue par des valeurs fortes, reconnaissables sur les points de vente. Afin de transmettre ces valeurs, la nécessité d’obtenir les certifications les plus exigeantes s’est imposée à OSO, tant en termes de production aquacole (bio) qu’en matière sociale, pour garantir aux clients de la marque une durabilité environnementale assortie d’une responsabilité sociétale.
Quels ont été les principaux défis que vous avez dû relever pour mettre en place un modèle d’affaires et de développement durable ?
Le projet OSO, la Gambas Bio de Madagascar, a fait face à trois obstacles principaux.
Obstacle réglementaire
L’agriculture biologique est une filière très réglementée en Europe. Au lancement du projet OSO, les textes officiels régissant la filière biologique couvraient les principales espèces agricoles issues pour l’essentiel de productions terrestres. La production aquacole, et notamment la crevette, ne disposait pas du cadre réglementaire impératif pour pouvoir prétendre à l’appellation « bio » et à la reconnaissance officielle associée au logo AB (agriculture biologique), reconnu par plus de 80 pourcent des consommateurs en France.
OSO s’est mobilisé auprès de l’État français pour que ce dernier introduise une réglementation officielle, promulguée le 13 Février 2007, cinq ans après le début de notre chantier dans l’Ankarana. Par la suite, la France s’est appuyée sur le modèle intégré d’OSO pour servir d’exemple auprès de la Commission européenne, en vue d’obtenir une harmonisation des réglementations biologiques applicables dans les 28 Etats membres. L’harmonisation des modes de production est effective depuis le 1er juillet 2010.
Obstacle humain et technologique
S’agissant d’une première mondiale, OSO a inventé des techniques aquacoles innovantes pour atteindre, après une lente montée en puissance, des performances techniques comparables à celles des productions conventionnelles équivalentes. OSO s’est entouré des meilleures compétences zootechniques malgaches et internationales, les a formées à la philosophie, aux valeurs et à la « science » du bio, en sortant des paradigmes qui soutiennent les modes de production intensifs d’Asie ou d’Amérique du Sud. Le mode de production bio interdisant tout recours aux produits chimiques, aux antibiotiques et autres traitements allopathiques, aux hormones de croissance et aux OGM, OSO s’est concentré depuis son démarrage sur l’élaboration de techniques d’élevage originales respectueuses des animaux et de leurs écosystèmes. Cette approche a constitué un immense défi pour les femmes et les hommes qui ont construit OSO.
Obstacle social et environnemental
L’ambition de SOCOTA d’installer sa ferme OSO au milieu de nulle de part, dans une région de Madagascar coupée du monde pendant 6 mois durant la saison des pluies, aux pieds de la Réserve spéciale d'Ankarana, constituait un défi considérable. Cette région de Madagascar est peuplée par les Antakarana, une population traditionnelle jeune et fière, historiquement déshéritée et isolée. Grace au projet OSO, cette population a pu bénéficier d’un accès gracieux à une médecine de qualité, à de voies de communication, à une adduction d’eau potable installée par l’entreprise dans le village d’Ampapamena (3000 habitants), ainsi qu’à une structure éducative pour les enfants, grâce à la Fondation École de Félix – reconnue d’utilité publique par l’État malgache en 2014. Le projet OSO a surtout permis d’offrir 900 emplois stables, notamment pour les femmes, à une population qui vivait encore de la pêche et de l’agriculture traditionnelle, en autosubsistance.
Comment décririez-vous l’environnement réglementaire dans votre secteur, sur le plan national comme international ?
La production de gambas bio de Madagascar d’OSO est régie par les règlementations de l’UE, tant en terme de sécurité alimentaire que de certification officielle du mode production « agriculture biologique ». OSO dispose d’un numéro d’agrément sanitaire octroyé par l’autorité compétente malgache, par délégation de l’UE. Ce numéro d’agrément sanitaire européen autorise OSO à produire à Madagascar et à exporter dans le monde entier, directement ou par équivalence. Sur le plan sanitaire, les règles internationales qui régissent le commerce alimentaire sont globalement homogènes et reconnues par les principaux pays consommateurs.
En revanche, en matière de certification et de règlementation bio, la situation règlementaire est très disparate selon les pays. À ce jour, seule l’UE a réussi, avec la promulgation du règlement n°834-2007 et son volet « aquaculture » (règlement n°710-2009), à mettre en place une règlementation commune. Mise en œuvre et contrôlée par les 28 États signataires, cette dernière permet une libre circulation des marchandises certifiées bio sur le territoire communautaire. Les autres grands pays de consommation ne disposent pas toujours de réglementation spécifique à l’agriculture biologique, et dans certains cas, ne reconnaissent pas la certification officielle de l’UE sur leur territoire. Par exemple, il n’existe pas de réciprocité ou de reconnaissance entre les standards bio européens et ceux du Département de l’agriculture américain. Cela oblige OSO, comme tout autre producteur, à une double certification, et dans certain cas, à choisir entre l’une ou l’autre, car les standards de production peuvent être significativement différents et non compatibles.
Tableau 1 : Historique du projet OSO dans l’Ankarana, Madagascar
Quelles sont, selon vous, les perspectives d’amélioration du point de vue des politiques relatives au commerce ?
La capacité à faire reconnaitre par les administrations compétentes la nécessité d’une équivalence internationale en matière de réglementation bio, notamment entre les États-Unis et l’Europe, est un enjeu important. À l’instar de ce qui a été fait dans le secteur de l’aéronautique avec la « Joint Aviation Régulation », nous appelons de nos vœux une passerelle réglementaire qui permettrait d’harmoniser les référentiels de production bio. Cela instaurerait un cadre favorable au développement de capacités de production biologique, sans que les opérateurs aient à choisir entre l’une ou l’autre des réglementations pour accéder à tel ou tel marché. Pourquoi pas une « Joint Organic Regulation » ?
De quelle manière les normes (en particulier le label bio AB) relient-elles la production à Madagascar aux consommateurs finaux en Europe ou en Asie ?
En Europe, la certification bio AB est une reconnaissance « officielle ». Par délégation de la Commission européenne, l’État Français (dans le cas d’OSO) contrôle et certifie, par le biais d’un organisme compétent assermenté, que l’intégralité de la chaine de production, de transformation et de distribution des crevettes bio soit conforme à la réglementation bio de l’UE. Cette certification donne droit, gracieusement, à l’utilisation des marques et des logos AB (France) et Euro Leaf (UE) qui sont apposés sur les emballages. Par exemple, l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique (Agence Bio) communique massivement dans les médias grand public pour augmenter la notoriété des produits bio, du logo AB, et inciter les consommateurs à consommer bio. Cet appui décisif est gratuit pour le producteur que nous sommes.
En Asie, à notre connaissance, il n’existe pas encore de réglementation officielle dans les grands pays de consommation tels que le Japon ou la Chine. Cependant, même sans cadre réglementaire concernant leurs productions, ces marchés s’initient à la consommation de produits bio. Depuis 2012, OSO produit spécialement pour le Japon des gambas bio de Madagascar, commercialisées en mettant en avant les valeurs du bio et la qualité exceptionnelle de la marque OSO. C’est un marché bio en devenir, et un formidable vecteur de croissance pour OSO.
Quels sont les principaux facteurs de succès pour des entreprises opérant dans des pays à faible revenu afin de satisfaire aux normes des chaînes de valeurs dans les secteurs de l’aquaculture ?
La recette de la démarche bio d’OSO peut se résumer en trois clefs de succès. Ces clefs peuvent s’appliquer à toute entreprise, qu’elle soit nationale ou étrangère, évoluant dans un environnement caractérisé par un faible niveau de développement économique tel que celui de Madagascar :
La formation continue de notre capital humain, à tous les niveaux de l’entreprise, cadres comme employés, sur les standards et protocoles imposés par la certification bio, et la mobilisation de toutes les forces vives de l’entreprise sous l’étendard AB, depuis l’agent de bassin qui s’assure du bon nettoyage des mailles d’entrée de l’eau de renouvellement, jusqu’au cadre supérieur responsable du laboratoire de biologie moléculaire qui analyse l’ADN des gambas, conformément à la réglementation bio, afin de s’assurer de leur bonne santé.
Le leadership, par une approche de gestion proactive de nos organisations humaines afin de faire du mode de production bio un élément fondateur et unificateur de l’entreprise ; une philosophie d’entreprise qui repose sur un profond respect de la nature et des hommes.
L’excellence, parce que cette quête, cette ambition, s’est transformée en ciment d’une communauté humaine isolée, qui s’est fixée l’objectif de produire une gambas d’une qualité rare depuis l’Ankarana à Madagascar dans une recherche permanente de progrès et d’innovation.
La biosécurité constitue-t-elle un enjeu important à Madagascar ? Le cas échéant, comment abordez-vous cette question ?
La biosécurité est un enjeu majeur pour l’aquaculture à Madagascar et dans la région de l’Océan Indien en général, notamment depuis 2011, année de la découverte du pathogène WSSV (White Spot Syndrome Virus) au Mozambique. Ce pathogène affecte les décapodes, qui ne disposent pas de système immunitaire et qui ne développent donc pas d’anticorps. Afin de protéger préventivement le Nord de Madagascar, et en particulier la région de Diégo-Suarez, OSO a mis en œuvre des moyens scientifiques et techniques très importants depuis 2012.
OSO dispose d’un laboratoire de biologie moléculaire, certifié par l’OIE (Organisation Internationale des Epizooties), d’une capacité journalière de 600 tests PCR (pour polymerase chain reaction), afin d’analyser tous les décapodes du littoral de Madagascar et ainsi détecter d’éventuelles épizooties. OSO réalise environ 37’000 analyses PCR par an dans le cadre d’une épidémiosurveillance qui couvre toute la côte Ouest de Madagascar, et tout particulièrement une zone de contrôle renforcé qui s’étend de la ville de Majunga (Ouest de l’île) jusqu’au Cap d’Ambre (à l’extrémité Nord).
En parallèle aux actions de biosécurisation du site OSO de l’Ankarana et de l’épidémiosurveillance des milieux marins, OSO a lancé un ambitieux programme de recherche et développement (R&D) visant à domestiquer des souches de crevettes naturellement résistantes aux pathogènes, notamment celui du WSSV. Ce programme de R&D mobilise d’importants moyens à Madagascar et à Taiwan en termes techniques, scientifiques et financiers. Ce programme de R&D est porteur d’avenir, et place résolument OSO à la pointe des avancées dans le secteur de l’aquaculture durable et responsable.
Quel est, selon vous, l’avenir de l’aquaculture à Madagascar, et en Afrique plus généralement ?
Selon la Global Aquaculture Alliance, la production mondiale de crevettes est d’environ 7 millions de tonnes en 2016, dont environ 60 pourcent issues de l’aquaculture. La part de l’aquaculture est passée de zéro à presque deux tiers en 30 ans. La croissance démographique mondiale, et notamment africaine, entraîne une nécessité de nourrir la planète avec un impact environnemental maitrisé, ce qui constitue pour le secteur de l’aquaculture, et de l’aquaculture africaine et malgache en particulier, une opportunité fantastique. La surpêche mondiale est une autre justification importante qui milite en faveur de l’aquaculture durable.
L’aquaculture est une industrie lourde, à haute intensité capitalistique, dont les retours sont longs et soumis aux aléas de la nature. Pour se développer, cette filière a besoin d’une stabilité politique et réglementaire, notamment en termes fonciers et fiscaux. Généralement grosse contributrice de la balance de paiement des économies concernées, et génératrice d’emplois dans des régions littorales souvent déshéritées, la filière aquacole reste embryonnaire à Madagascar et en Afrique. Tout reste à faire.
Pour se développer, l’aquaculture a également besoin d’un soutien étatique puissant, pour fixer le cap en matière de schémas directeurs d’implantation des zones de production, de formation scientifique, de veille et prévention sanitaires, et de recherche scientifique pour produire des espèces endémiques adaptées aux écosystèmes africains.
Le continent africain, tant en matière d’aquaculture marine que de pisciculture terrestre, dispose d’un très important potentiel, porteur de croissance économique, de génération de devises, et surtout de créations d’emplois. Certains experts définissent l’aquaculture comme potentiel pilier de la « révolution bleue ».
Source:ictsd.org