Le baril américain a poursuivi sa descente aux enfers le lundi 20 avril 2020. Le baril du WTI se vend à 37,63 dollars : Une première en 160 ans dhistoire. Oui cest un effondrement record historique, du jamais vu sur le marché international. Comment un aussi bas niveau du prix de pétrole peut-il arriver ?
Évidemment, on pense tous à la pandémie du COVID 19, au confinement quasi généralisé dans le monde, la diminution drastique des activités industrielles et autres, la circulation très ralentie (des voitures, des avions et autres moyens de transport). Dans ce contexte on a besoin de très peu de pétrole.
En y regardant de plus près, les raisons de cet effondrement sont plus complexes. Depuis des semaines, la Russie et lArabie Saoudite continuent à produire davantage de pétrole. Ils voudraient en sorte asphyxier lindustrie pétrolière de schiste américaine, leur indépendance énergétique et de factoles producteurs américains par une baisse des prix. Et on assiste à cet effondrement de prix.
Mais même si un accord est convenu, récemment, entre OPEP et non OPEP, les compagnies pétrolières ne peuvent pas fermer soudainement ou assez rapidement les puits de production. Fermer et ré ouvrir les sites de production sont des opérations onéreuses et exigent des procédures bien sophistiquées.
La réduction de la production prendrait effet au mieux en mi-mai. Et la chute continue. Il se trouve que les contrats de livraison du mois de mai arrivent à expiration, ainsi les détenteurs de pétrole brut doivent trouver des preneurs physiques le plus rapidement possible ; au lieu de payer plus cher le stockage, autant vendre à perte. En effet, le stockage constitue un enjeu majeur dans lindustrie pétrolière. La capacité de stockage pose problème. Mais maintenir à bord une cargaison de pétrole quon ne peut plus stocker couterait très cher et plus risqué. Il se trouve alors que les vendeurs paient les acheteurs pour acheter du pétrole. Des analystes avancent même une réduction de la demande jusquà10 millions de barils de pétrole pour les deux prochaines années.
Cest un choc pour toutes les communautés pétrolière et financière, pour la première fois dans lhistoire du pétrole, le prix affiché est négatif. Cette situation chamboule tout ce que nous avons appris au cours des dernières 80-50 années.
Dabord, la question qui se pose à nous autres citoyens, est : la baisse du cours du baril de pétrole brut se répercute-t-elle nécessairement sur les prix des carburants à la pompe ? En fait, la valeur négative semble être un phénomène ponctuel, sachant que la valeur réelle pour laquelle le pétrole brut se vend (et sachète) tourne autour de 20 dollars.
Les marchés du pétrole sont généralement déterminés par loffre et la demande. A la base lon sait que les prix des carburants évoluent parallèlement avec le cours du pétrole brut, mais dépendent également dautres facteurs, plus ou moins stables, (tels les coûts de transformation au raffinage, le transport, les taxes diverses, etc) qui lissent leurs variations. En moyenne, 30% du prix des carburants seulement sont influencés par le cours du pétrole brut. Alors pourrait-on espérer que ce prix bas de pétrole brut se répercuterait sur le prix à la pompe au courant du mois de mai, cest théorique et pas sûr !
Le pétrole bon marché pourrait être une aubaine pour les consommateurs mais cest une situation qui met en danger de nombreuses industries et de nombreux pays. Pour les pays producteurs dont les coûts de production sont plus chers, cette baisse historique rendrait difficile de continuer de produire. Mais pire encore, beaucoup se voient obligés de fermer, quoique temporairement, les puits de production.
Et des projets pétroliers, en particulier en Afrique, auront du mal à décrocher une décision finale dinvestissement, déjà que ces projets sont depuis 2014 évalués par rapport aux projets extractifs américains, surtout la production du pétrole non conventionnel. En Octobre 2019, Global Data estimaient à 195 milliards de dollars le financement nécessaire pour 93 projets de pétrole et gaz à travers toute lAfrique entre 2018 et 2025. Lon sait aussi que la plupart de ces projets sappuient sur un financement à long terme.
Africa Oil Week vient de publier les récentes analyses relatives au secteur pétrolier amont en Afrique. Selon la prévision de Rystad Energy : 50% des appels doffres sur des blocs pétroliers prévus en 2020 pourraient être reportés ou voir même annulés suite à cette pandémie sans précédente dans lhistoire. Faire décoller des projets dexploitation ne sera pas facile en cette période, encore moins pour des projets dexploration.
Pour Madagascar, la potentialité de se procurer localement du financement pour redémarrer le secteur Amont Pétrolier est très faible à moins que lentité en charge de ce secteur déploie son expertise et toutes ses ressources humaines, financière, - avec laide de lEtat, pour valoriser les projets pétroliers en mettant à jour les données quelle a en possession afin de faciliter la venue des investisseurs et surtout en promouvant les projets en cours. Notons que Madagascar devra disposer dun cadre légal, le plus incitatif possible sans pour autant léser les intérêts de la nation, notamment la souveraineté de lEtat sur les ressources naturelles. De plus les données issues des campagnes dexploration antérieures sont encore largement sous exploitées. Par ailleurs, la possibilité dattirer de nouvelles compagnies semble très limitée dans le contexte post-confinement ? Les décisions dinvestissements de la part des compagnies déjà présentes dans le pays tarderont à se prendre pour des raisons essentiellement fiscales, du moins selon les discussions avec des grandes compagnies ou majors. Par contre, les plus petits ou indépendants auront du mal à saventurer dans cet exercice en ces temps-ci.
Pourrait-on envisager un retour à la normale ? Quand et comment ? Si les producteurs américains continuent à produire dans les 10 millions à 12 millions de barils par jour, et si la demande actuelle (autour de 6 à 8 millions de baril par jour) se maintient pendant la sortie du confinement (dans les 2 - 3 mois à venir) le problème persistera. Tout dépendra de la vitesse de la reprise des activités à la sortie de crise. Le jeu de domino actionné par le pétrole repose sur la consommation et les investissements. Dans un contexte de prix du brut aussi bas, les investissements pétroliers sarrêtent. Le processus de sortie de crise ou de reprise économique post-Covid-19 pourrait être lent ou fulgurant.
Le temps nous dira si Madagascar a su profiter de ce confinement pour mettre en place une stratégie adéquate et adaptée sur le secteur pétrolier Amont. Quoiquil en soit la reprise des activités devrait se faire progressivement et solidement et une fois la croissance relancée, on ne produira moins (ou on ne produira plus) de pétrole en espérant que le prix du brut senvolera de nouveau et ainsi de suite.
Mais il est difficile de prédire lavenir à ce rythme, il y a linattendu et limprobable...
Cest une histoire à suivre de près
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